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samedi 9 novembre 2013

Y-a-t-il un modèle entrepreneurial allemand ?

http://www.apce.com/cid142497/y-un-modele-entrepreneurial-allemand.html

Souvent présentée comme la locomotive de l'Europe, l'Allemagne est avant 
tout sur le plan économique le pays du « Made in Germany ». Inventé il y a plus d'un siècle, dans un premier temps dans un but protectionniste, ce label est peu à peu devenu sur le plan international le symbole et la garantie d'un certain savoir-faire. Si le « Made in Germany » est une des caractéristiques fortes de 
« l'entreprise à l'allemande », elle n'est pas la seule comme nous allons le voir. Faut-il pour autant parler de modèle, terme qui revient de manière récurrente ? Quelles sont les différences principales avec la France en matière d'entrepreneuriat ? Quels rôles l'Etat fédéral et les Länder assument-ils ?

triangle.gifLes PME, « colonne vertébrale de l'économie allemande »

Depuis la naissance de la République fédérale en 1949, l'Allemagne a choisi de faire de ses « KMU » 
(« Kleine und mittlere Unternehmen », PME), la pierre angulaire de son économie. On peut ainsi lire 
sur le site du ministère fédéral de l'économie et de la technologie (BMWi) que « les petites et moyennes entreprises sont le cœur de l'économie sociale de marché et le moteur pour la croissance et l'emploi 
en Allemagne ». Les faits confirment cette assertion puisque les PME allemandes représentent 99,3% du parc d'entreprises et 60,9% des emplois[1] . La différence avec notre pays se situe donc d'abord au niveau de la taille de ces PME, qui emploient en moyenne plus de salariés : environ 22% des nouvelles entreprises allemandes sont créées avec au moins 1 salarié contre 5,7% des françaises. Dès lors, les entreprises de moins de 10 salariés sont structurellement moins nombreuses que chez nous : elles forment 80,9% du parc d'entreprises allemandes contre 94,3% en France[2]. Cependant, si les PME sont incontestablement une valeur sûre de l'économie allemande, ce n'est pas la seule. On estime que le nombre d'Entreprises de taille intermédiaire (ETI) est près de trois fois supérieur de l'autre côté du Rhin (12 500 contre 4 600).

Souvent employé comme synonyme de PME (« Kleine und mittlere Unternehmen », KMU), le terme de « Mittelstand », qui signifie littéralement « classe moyenne », est régulièrement utilisé pour qualifier l'écosystème entrepreneurial allemand. Il est intéressant de noter qu'il s'agit non pas d'une notion statistique mais économique et culturelle. Pour l'Institut de recherche sur le « Mittelstand » de Bonn, 
ce sont d'abord des entreprises familiales réalisant jusqu'à 50 millions d'euros de chiffres d'affaires et ayant moins de 500 salariés. Il s'agit donc à la fois de PME et d'ETI dirigées ou contrôlées par la famille fondatrice, qui se caractérise également le plus souvent par une activité industrielle spécialisée et une ouverture à l'international. Ces deux dernières dimensions constituant les piliers de l'économie allemande :
-    L'industrie représente 24% du Produit intérieur brut (PIB) allemand (11% en France).
-    Les exportations pèsent pour près de 40% du PIB[3].
Conséquence : l'Allemagne est étroitement dépendante de la vigueur de la demande extérieure et de l'approvisionnement en matières premières ; les résultats du commerce extérieur allemand représentent un baromètre déterminant de la bonne santé économique du pays.

Fait notable : les meilleures performances à l'export sont le plus souvent réalisées par ce qu'Hermann Simon appelle des « champions cachés » (« Hidden champions »[4]), c'est-à-dire des entreprises dont la notoriété publique est assez limitée mais qui sont pourtant des leaders mondiaux sur leurs marchés. Une source de l'Ambassade de France en Allemagne nous rappelle que les entreprises allemandes exportatrices sont près de 400 000 (contre moins de 100 000 en France). Ces entreprises portent et s'appuient sur le « Made in Germany », synonyme à l'export de qualité et de fiabilité.

triangle.gifAux sources du « capitalisme rhénan »

L'un des facteurs déterminants de ce que l'on a coutume d'appeler le « capitalisme rhénan » tient en la nature même de l'organisation politique du pays : un Etat fédéral et décentralisé. Forte de ses 16 Länder, l'Allemagne  peut s'appuyer sur une répartition des rôles précise en matière économique : à l'Etat fédéral d'assurer les conditions générales favorables au développement de l'économie (« Rahmenbedingungen »), aux Länder d'assumer une compétence économique forte en s'appropriant la politique fédérale afin de l'adapter aux caractéristiques de son tissu local. L'Etat doit donc veiller à maintenir un climat des affaires stable tandis que le Land oriente les programmes fédéraux vers les secteurs qu'il juge prioritaires. Il peut pour cela s'appuyer sur un solide réseau de banques publiques et d'entités de capital-risque régionales. D'ailleurs, ces dernières sont elles-mêmes appuyées par le Land via une banque de garantie ad hoc. A l'échelle nationale, une banque publique fédérale peut intervenir en cas de besoin (la KfW).

Mais l'acteur clé de la chaîne de financement des entreprises allemandes est la « Hausbank », banque « maison ». Un lien de proximité et de confiance est le plus souvent établi entre l'entreprise et une Caisse d'épargne ou banque mutualiste locale qui l'orientera en fonction de ses besoins vers les différentes solutions de financement (crédit, garantie…). Elle lui permettra également, le cas échéant, de se rapprocher plus facilement des structures régionales ou fédérales. Toutefois, ce qui est remarquable dans la situation financière des entreprises allemandes, c'est l'importance de leurs ressources propres. Le taux d'autofinancement est ainsi de plus de 100% (108% au 1er trimestre 2012 contre 67% en France). Résultat : l'endettement des entreprises allemandes s'élève à 77% du PIB (103% pour les entreprises françaises)[5].

L'innovation joue incontestablement un rôle décisif dans la dynamique des entreprises allemandes. Le gouvernement fédéral et la Kfw ne s'y sont pas trompés et soutiennent via un large éventail de dispositifs la création d'entreprises innovantes (concours, financements et programmes). A titre d'illustration, nous pouvons citer le programme « ERP-Startfonds » de la Kfw qui, sous la forme d'un investissement public-privé (capital-risque, business angel, entreprise) cible les entreprises technologiques innovantes de moins de dix ans et de 50 salariés.

Au-delà des dimensions politiques et financières, ce qui fonde l'écosystème entrepreneurial allemand est à placer dans le champ de l'immatériel, du capital culturel. Ainsi, comme le rappelle Isabelle Bourgeois dans son ouvrage « PME allemandes, les clés de la performance », « impossible à quantifier, la notion de Mittelstand se résume dès lors à un système de valeurs particulièrement vivace, et dont les petites et moyennes entreprises sont le porteur par excellence : autonomie entrepreneuriale, sens des responsabilités individuelles et collectives, goût de la performance, amour du travail bien fait, respect de la parole donnée, engagement dans le présent et l'avenir ». C'est donc bien à travers le prisme des valeurs entrepreneuriales que doit être interprétée l'expression de « modèle allemand ».

triangle.gifUne économie qui doit relever de nombreux défis

Les défis pour l'économie allemande seront nombreux à relever dans les prochaines années : défi démographique pour une nation qui devrait perdre entre 5 et 20 millions d'habitants d'ici 2060 selon les estimations officielles, défi générationnel et sociétal pour un marché du travail où les femmes ont encore des difficultés à trouver leur place et où les travailleurs précaires en l'absence de salaire minimum sont nombreux (les fameux « mini-jobs »)[6]), défi environnemental pour assurer l'approvisionnement en matières premières de ses entreprises et son indépendance énergétique avec l'abandon du nucléaire.

En définitive, il semble difficile, et pas nécessairement souhaitable, de reproduire un « modèle » qui prend ses racines dans l'histoire économico-culturelle d'un pays. Il n'en reste pas moins utile d'en retirer les meilleures pratiques, au premier rang desquelles, la croyance partagée en la place prépondérante de l'entreprise dans la société…
triangle.gifPortrait statistique croisé

Allemagne :
-  80,5 millions d'habitants au 1er janvier 2013.
-  0,7% de croissance du Produit intérieur brut en 2012 (prévision pour 2013 : 0,6%).
-  6,6% de taux de chômage en septembre 2013.
-  345 000 entreprises créées en 2012.

France :
- 65,8 millions d'habitants au 1er janvier 2013.
- 0% de croissance du Produit intérieur brut en 2012 (prévision pour 2013 : 0,2%).
- 10,9% de taux de chômage au 2ème trimestre 2013 au sens du Bureau international du travail.
- 549 976 entreprises créées en 2012[7].


[1] Rappelons qu'en France, les PME représentent 99,8% du parc et 52% des emplois salariés.
[2] Sources : Institut allemand des statistiques-Destatis, Ministère français de l'économie et APCE.
[3] Source : Ambassade de France à Berlin.
[4] Source :Cf "Les champions cachés du XXIème siècle. Stratégies à succès", Hermann Simon et Stépahne Guinchard, Préface Yvon Gattaz, 2012.
[5] Source : Etude Coface Automne 2012.

[6] Source : On estime à près de 7 millions, le nombre de salariés dont la rémunération est plafonnée à 450 euros.

[7] Sources : Destatis, Institut allemand des statistiques et Insee.

Capture d'écran:

http://www.apce.com/cid142497/y-un-modele-entrepreneurial-allemand.html


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