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lundi 29 septembre 2014

Pourquoi la loi Hamon sur la reprise d'entreprise est une erreur

Par Pascal Ferron publié le 23/09/2014 à 13:15

Infantilisante, inadéquate et irresponsable... 

Notre chroniqueur Pascal Ferron, vice-président de Baker-Tilly France, 
revient sur l'obligation d'information des salariés issue de la loi Hamon.
La loi N° 2014-856 relative à l'Economie Sociale et Solidaire 
a été votée et promulguée en catimini le 31 juillet. Elle est entrée en vigueur le 1er septembre 
pour la rentrée des entrepreneurs, et potentiellement futurs cédants. 
Son Titre II comporte des "dispositions facilitant la transmission d'entreprises à leurs salariés".
Des dispositions très controversées

Les futurs cédants d'entreprises ou de fonds de commerce (et oui, même les magasins) 

sauront apprécier le terme "faciliter" lorsqu'ils vont désormais devoir informer tous leurs salariés 
de leur intention de céder leur fonds de commerce ou la majorité des parts de leur entreprise, 
au plus tard deux mois avant la cession, 
afin de permettre à l'un ou plusieurs des salariés de l'entreprise de présenter une offre de rachat.

Dès la genèse de ce texte, à la parution du projet de Loi, tous les intervenants en matière 

de transmission d'entreprise s'étaient élevés contre. 
Des chambres de commerce et d'industrie au CRA, des syndicats patronaux aux intermédiaires, 
des avocats aux experts-comptables... tous avaient essayé de porter la voix de la sagesse au ministère. Sans succès ! Au même titre que l'ensemble des professionnels de l'immobilier, du bâtiment, 
de la construction, etc. n'avaient cessé de s'élever contre la loi ALUR 
pour les résultats que l'on peut désormais constater.

On ne peut que regretter que nos gouvernants ne tiennent pas compte de l'expérience des experts 

et professionnels de terrain, ni de celle du passé, même proche.
Pourquoi informer les salariés de la cession favoriserait les reprises d'entreprise?

Le législateur prévoit que la cession puisse néanmoins intervenir avant le délai de deux mois, 

si chaque salarié a fait part de sa décision de ne pas présenter d'offre avant l'expiration de ce délai. 
Il est prévu d'exclure les cessions intra-familiales (les concernés l'ont échappé belle !) 
et les sociétés en sauvegarde, en redressement...

Vous avez dit simplification ? Ce seul titre II ne modifie ou ne crée pas moins de 37 titres, 

articles ou alinéas du Code de commerce et trois du Code du travail.

Bien entendu, tout cela part d'excellentes intentions, enveloppées dans une rhétorique appropriée 

de solidarité, d'ambitions, de démocratie populaire.... 
Cette loi trouve son origine dans un constat mâtiné de crise que de nombreuses entreprises 
ne trouvent pas de repreneurs lors du départ à la retraite de leurs patrons. 
C'est vrai. Et cela fait perdre des emplois, bien sûr. La solution miracle qu'apporterait cette loi : 
que les salariés deviennent tous des entrepreneurs !
Des contre-vérités érigées en arguments

Sans revenir sur toutes les statistiques et les argumentaires cités dans le projet de loi, 

il me semble utile de revenir sur deux arguments mis en avant qui sont autant de contre-vérités :
"Le propriétaire d'une entreprise faiblement rentable a souvent peu d'offres de reprise" : 

effectivement celle-ci sera moins attirante qu'une entreprise très rentable. Mais elle sera également moins chère, et d'expérience, ce n'est pas parce qu'il y a peu d'offres qu'elle ne trouvera pas preneur. Bien d'autres raisons jouent alors, en particulier l'adéquation du prix avec la rentabilité. 
En outre, il convient de rappeler qu'il existe en France 3,6 millions d'entreprises 
dont près des deux tiers n'ont aucun salarié et seulement 5 % d'entre elles ont plus de 10 personnes. 
S'il est exact que beaucoup d'entreprises ne trouvent pas preneurs, 
c'est souvent parce qu'elles sont trop petites pour être ne serait-ce que "vendables" ou "reprenables". Cela concerne par exemple près des 2/3 des entreprises artisanales et une grande partie des commerces pour lesquels seul l'emplacement compte. Si le marché est là, lorsque ces entreprises ferment, il s'en crée d'autres pour absorber la demande du marché, 
et ce, souvent dans un laps de temps assez court. Si le marché n'est pas là, il n'est là pour personne. Dans ce cas, on voit mal comment la loi ESS résout quoi que ce soit.
"Selon l'étude... seulement 10% des cédants anticipent leur départ" : 

cela ne les empêche pas pour autant de vendre leur entreprise, 
un chef d'entreprise sachant avant tout saisir les opportunités qui s'offrent à lui.

On voit bien que les constats faussement ou aveuglement interprétés sont susceptibles d'engendrer 

de mauvaises solutions.
Les chefs d'entreprise cédants n'avaient pas besoin d'une loi

Bien entendu, je passe sur l'aspect psychologique d'infantilisation de chefs d'entreprise 

qui ont entrepris toute leur vie durant, en se démenant, en évitant tous les écueils, en innovant... 
qui, au soir de leur vie professionnelle, se voient dicter la conduite à suivre par une loi. 
De surcroît, une loi votée par des parlementaires, qui, pour leur très large majorité, 
ne connaissent pas grand-chose des entreprises. Les entrepreneurs ont vite appris à ne pas être susceptibles mais quand même !

Un chef d'entreprise n'a pas besoin d'une loi pour avoir l'idée de discuter avec un ou plusieurs 

de ses salariés en qui il a confiance, afin de favoriser une transmission réussie pour toutes les parties. 
Et il en est de même, inversement, d'un ou de plusieurs salariés qui s'en sentiraient capables. 
Ce qui est encore plus vrai dans des entreprises qui comportent très peu de salariés (les 97 %). D'ailleurs, une bonne partie de ce type de transmission réussie n'a, fort heureusement, 
pas attendu la loi pour le faire et pas nécessairement sous la forme d'une Scop.
Deux mois pour se révéler entrepreneur ? Une totale illusion

Je passe sur le fait que devenir entrepreneur, même sous la forme d'une Scop, ne s'improvise pas. 

C'est même un travail de longue haleine. 
Pour aider quantité d'anciens cadres à devenir progressivement repreneurs d'entreprises 
depuis de nombreuses années, je me sens bien placé pour le savoir. 
Beaucoup d'ailleurs ne vont pas jusqu'au bout. 
Pour les autres, cela prend en moyenne entre un et deux ans et rien n'est gagné d'avance. 
Alors deux mois!

J'en arrive au coeur du problème. La transmission d'entreprise est un processus long, 

complexe, s'apparentant à une alchimie qui, quand elle fonctionne bien, 
ne peut s'expliquer de manière uniquement rationnelle. 
C'est un processus qui comporte beaucoup d'émotion et d'affect. 
Le choix de son successeur ne se fait pas uniquement sur des critères financiers, 
mais sur la croyance du cédant en la capacité du futur repreneur à récupérer les rênes et à développer son entreprise. C'est pour cela qu'aucune transmission n'est identique, aucun processus n'est similaire, rien ne peut être écrit à l'avance, tout est du sur-mesure.
Ce type d'aventure s'écrit par des hommes au quotidien, pas dans un texte de loi

C'est aussi une formidable aventure, et les aventures s'écrivent par des hommes au quotidien, 

pas dans des textes de loi. Cela s'écrit surtout dans le secret et la confidentialité 
car on n'est jamais sûr d'aboutir, et ce jusqu'à la dernière minute avant la cession.

Venir perturber cette alchimie par un passage obligé est déjà délicat en soi. 

Venir introduire un bris de secret avant un acte majeur, en fixant un terme de deux mois, 
est tout simplement inadéquat et irresponsable.

Sans compter que pour les salariés, il est très déstabilisant, 

voire traumatisant, de savoir avec certitude que l'entreprise dans laquelle ils travaillent va être vendue, sans, en revanche, vraiment savoir immédiatement ce qu'il va advenir d'eux dans un proche futur, 
ou sans être rassurés par le repreneur 
dès le lendemain de la cession.
Un secret mal gardé

Même si le législateur prévoit que les salariés sont "tenus à une obligation de discrétion" 

et outre les inévitables contentieux qui vont en résulter, un secret ne peut être partagé 
que par peu de personnes (surtout par un petit nombre de professionnels 
qui connaissent toutes les conséquences de leur éventuelle indiscrétion), sinon ce n'est plus un secret.

Les rumeurs, bruits et autres informations plus ou moins crédibles ne vont pas manquer de circuler 

à la vitesse de la lumière. Il suffit d'un(e) salarié(e) qui en parle à sa femme, à son mari, etc. 
pour que toute la ville/le monde internet soit au courant. Dans le monde, il y a des clients, lesquels, 
pour les PME, ont souvent une relation intuitu personae avec le dirigeant. 
Il y a aussi les concurrents auxquels on peut largement faire confiance pour savonner la planche 
et propager la rumeur adéquate et amplifiée. Il y a les banquiers, les fournisseurs 
et tous les autres acteurs de l'environnement proche ou moins proche. 
Nous ne sommes pas dans le monde des bisounours , 
tout ce beau monde n'est pas toujours bien intentionné.

Déclarer que son entreprise, ou son fonds de commerce, est à vendre, même à ses salariés, 

et même avec les meilleures intentions du monde est un acte irrémédiable. 
Si on veut vraiment vendre, on ne peut plus faire marche arrière. La reculade serait encore pire !
Quelle est la sanction?

Alors, certains entrepreneurs mal avisés pourraient être tentés de passer outre, 

compte tenu du risque majeur que cela pourrait faire peser sur la pérennité même de l'entreprise. 
Mais le législateur a tout prévu : l'annulation pure et simple de la cession à la demande de tout salarié !

Comment ne pas imaginer que certains salariés ne vont pas être tentés d'utiliser cette possibilité, 

pour assouvir leur rancune, ou/et pour tenter de négocier une contrepartie financière ? 
C'est d'ailleurs ce type d'attitude inévitable qui engorge actuellement les tribunaux de prud'hommes 
et fait hésiter certains entrepreneurs avant de recruter. 
Je laisserai donc les avocats détailler ces risques de contentieux et leurs conséquences néfastes.
Une lueur d'espoir?

Entendons-nous bien, nous ne sommes pas contre l'économie sociale et solidaire 

qui a fait ses preuves. Mais le titre II de cette Loi n'est tout simplement pas approprié. 
Il va provoquer de nombreux contentieux et déstabiliser quantités de PME, 
sans pour autant assurer l'éclosion de futurs entrepreneurs salariés solidaires en nombre suffisant.

Alors, apparemment, avec la rentrée et son lot de promesses, notre chef du gouvernement semblerait disposé à séduire les chefs d'entreprise. Rajoutons donc une tâche à sa longue liste : abroger ce titre 

II et garder le reste de la Loi.

Pour ma part, je suis heureux d'entendre Manuel Valls déclarer sa flamme aux entreprises, 

et par trois fois encore. C'est nouveau ! J'aimerais maintenant qu'il dise qu'il aime 
aussi les entrepreneurs, ce qui n'est pas pareil, et que cela soit suivi d'actes concrets, 
pour enfin espérer voir s'inverser la courbe de défiance à laquelle la courbe du chômage est souvent corrélée... quelques mois plus tard. 

En savoir plus sur http://lentreprise.lexpress.fr/creation-entreprise/reprendre-entreprise/pourquoi-la-loi-hamon-sur-la-reprise-d-entreprise-est-une-erreur_1577393.html#3hTBlD2XZS7M84aL.99


Capture d'écran: http://lentreprise.lexpress.fr/


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